Ruée vers l’or

Chepkalit, West Pokot, Kenya, août 2023. Avant de venir visiter la région West Pokot j’avais entendu parler grâce à une amie originaire de la région qu’on y trouvait de l’or dans certaines rivières, notamment dans le Nord, à Ortum. Mais quand quelqu’un de Tapach m’a parlé d’un village à quelques kilomètres seulement de là, je me suis dit que ça valait le coup d’y aller.

Logement et nourriture

La première chose à faire en arrivant dans le petit village de Chepkalit était de trouver un logement. Derrière le Prestige Hotel – drôle de nom pour la seule auberge du hameau – se trouvait justement une chambre à louer 250ksh (1,60€) la nuit : le précédent record de Barwesa était battu ! Certes, pour ce prix, la chambre était sans doute la plus rudimentaire que j’avais eue jusqu’à présent : ce n’était rien d’autre qu’une cabane de planches de bois avec un toit en tôle. J’y avais tout de même l’électricité et donc de quoi recharger mon téléphone et les batteries de mon appareil photo. Et il n’y avait ni insectes volants ni punaises de lit… Les toilettes et la salle de bain, situées un peu plus haut, étaient encore plus couleur locale. Pour en résumer brièvement leur apparence, je pourrais dire qu’il ne fallait pas être très pudique pour les utiliser…

Le Prestige Hotel, petite pièce de 20m² aux murs noir et blanc et aux tables et bancs verts, offrait des repas matin, midi et soir. Le menu était simple : toute la journée, on y trouvait du chai, des chapatis (20ksh chacun) et du githeri (30ksh), et le soir on pouvait y manger de l’ugali avec des légumes, c’est-à-dire uniquement du sukuma, pour 60ksh. En option, on pouvait avoir un verre de lait frais pour 20ksh. Comme à Tapach, cet hotel faisait le plein chaque soir pendant le journal télévisé. On y regardait surtout Al Jazeera pour l’international, et KTN, une chaîne kenyane, pour l’actualité nationale. Le soir de mon arrivée, c’étaient les attentats de 1998 qui faisaient l’actualité, à l’occasion des 25 ans de ce triste événement, et la colère semblait davantage dirigée contre les États-Unis, qui étaient la cible de ces attaques meurtrières, que contre Al Qaida, qui en avaient revendiqué la responsabilité, comme si les islamistes n’étaient pas responsables d’avoir choisi de tuer d’innocents africains pour atteindre leur ennemi américain. Le bouche à oreille fonctionnait aussi pour les actualités plus locales, et on rapportait qu’il y avait eu 2 tués dans des affrontements entre Pokots et Marakwets à quelques dizaines de kilomètres de là.

En face il y avait un autre hotel attenant à la petite boucherie du village : le Riverside Hotel. Au milieu ses murs tapissés de vieux journaux, celui-ci proposait essentiellement de la viande de mouton ou des matumbo (tripes à 100ksh l’assiette) avec des chapatis, mais aussi du chai dès 7h du matin. En prime, chaque soir vers 17h, une femme vendait des frites et des sambusas dans la seule rue de Chepkalit. Le deuxième problème, celui de se nourrir dans ce petit village, était donc réglé.

Une orpailleuse occupée au lavage

Jay Jay, le propriétaire de l’hotel de Tapach où je prenais mes repas, était originaire d’ici, et le Prestige Hotel était son premier restaurant jusqu’à ce qu’il parte ouvrir un autre plus grand dans le village voisin il y a 4 ou 5 ans. Mais une partie de sa famille était toujours ici, et c’est ainsi que je fis la connaissance du sympathique Geoffrey Kamzee, « celui qui est né dans la maison d’un vieil homme » selon la signification de son prénom, mais appelé par tout le monde Karish, le mécanicien du village. Et c’est tout naturellement qu’il s’improvisa guide-interpète pendant mes 3 jours à Chepkalit contre des repas.

La vie ici ressemblait fortement à celle dans Tapach, même si le village étant situé dans la vallée 700m plus bas, il y faisait bien moins froid. On y voyait d’ailleurs voler des tisserands jaune et noir introuvables plus haut. L’activité économique était centrée sur la pomme de terre, le maïs, le mouton mérinos et donc l’or. On y trouvait aussi un certain nombre de vaches élevées pour leur lait. Mes conversations étaient les mêmes également : le climat, le mariage, les enfants, la nourriture, et on insistait tout autant, voire d’avantage, pour que j’épouse une femme du village…

J’étais allé visiter l’école secondaire après la fermeture en compagnie de Karish. Avec ses vitres brisées, ses tables et chaises renversées, des cahiers d’écoliers déchirés traînant sur le sol des salles de classes, j’étais surpris en réalisant que sa construction datait de moins de deux ans. En revanche, la pelouse était parfaitement entretenue grâce à une vache. La même méthode avait d’ailleurs été utilisée pour l’église catholique, mais avec des moutons cette fois.

La ruée vers l’or

La ruée vers l’or avait débuté vers 2015. À l’époque, on pouvait compter 400 à 500 personnes cherchant de l’or dans la rivière ou creusant des trous plus ou moins profonds de part et d’autre de celle-ci. Pas mal d’or avait été trouvé les premières années, permettant à certains de relever notablement leur niveau de vie. Quelques-uns parmi eux avaient pu se faire construire une maison plus grande et plus moderne, d’autres avaient essentiellement utilisé l’argent récolté pour payer les études de leurs enfants. D’après Karish, il y avait tout de même un certain gaspillage, et une partie de l’argent gagné partait dans le chang’aa, boisson qui était souvent consommée par ici, comme déjà à Tapach. Ce problème n’était pas spécifique aux orpailleurs, et il n’était pas rare de croiser un homme déjà, ou plus probablement encore, alcoolisé au lever du jour…

Bius faisant tourner sa batée

Depuis quelques temps, cette activité était devenue moins rentable, et les chercheurs d’or s’étaient raréfiés. Certains y consacraient pourtant toujours leurs journées, quitte à employer des journaliers payés 300ksh quotidiennement pour s’occuper de leur ferme pendant qu’ils étaient à la rivière. Sachant qu’un fermier de la région gagnait environ 10 000 shillings par mois (une soixantaine d’euros), c’est dire si la recherche d’or restait encore très intéressante. Même si je n’ai vu qu’une seule paillette d’or en trois jours, on m’a affirmé que les orpailleurs de Chepkalit pouvait encore gagner plusieurs milliers de shillings en une seule journée.

Les orpailleurs travaillaient généralement en équipe, se partageant les tâches pour réduire la fatigue. Les enfants rejoignaient leurs parents après l’école ou les weekends. Comme ils y passaient leurs journées entières, ces chercheurs d’or lavaient leur linge sur place, même si celui-ci finissait toujours par prendre la couleur ocre de la terre qu’ils retournaient jour après jour. Ils installaient des abris plus ou moins grands faits de branches souples couvertes d’une bâche sous lesquels ils préparaient le chai et leurs repas, et qui leur permettait de se protéger de la pluie.

Pendant que deux hommes creusent la terre, une femme prépare l’ugali dans l’abri

Alors que je venais observer quelques chercheurs d’or dans leur travail non loin de l’église catholique de Chepkalit, j’avais ainsi été invité à boire un chai, puis un deuxième, par Jenifer, une femme énergique et joviale. Je l’avais auparavant vue couper du bois à la hache, alors qu’une autre femme, bien plus frêle, elle, secouait sa batée l’eau jusqu’aux genoux. Bius, lui, était en train de creuser un trou un peu plus haut sur la rive. Le travail semblait physique, mais l’était-il plus que le travail agricole qui ici n’était absolument pas mécanisé, et que le seul outil utilisé est encore la houe ? En tout cas l’or continuait de fasciner comme depuis des millénaires.

Après ce bref passage improvisé à Chepkalit, il était temps pour moi d’aller poursuivre mon voyage et de découvrir l’autre visage de la région West Pokot, à d’autres altitudes et sous d’autres températures…

Laisser un commentaire