Lokitaung, Turkana, Kenya, Janvier 2022. J’étais arrivé la veille à Lokitaung, dans le Nord du Kenya, à moins de 50 km seulement à vol d’oiseau de l’Éthiopie, ce pays que j’avais toujours rêvé de visiter. J’avais passé la nuit à la Burundi guesthouse où pour 1000 shillings on avait une chambre avec salle de bain (pas d’eau chaude, mais vu la chaleur qu’il faisait c’était inutile), et surtout, un lit protégé par une moustiquaire (voir mon article précédent…). La guesthouse possédait aussi un pub mais qui ne dérangeait pas la nuit puisqu’il fermait vers 22h30. Deux jeunes femmes s’occupaient de cet endroit, toutes deux Kalenjins, venues de la région d’Eldoret. L’absence de mursik (lait fermenté préparés par les Kalenjins) ne semblait pas les déranger plus que ça.
La guesthouse était un peu à l’extérieur de la ville ce qui m’obligeait à marcher un peu pour aller prendre mon petit déjeuner. Sur la route je croisais deux hommes Turkanas tirant une chèvre au bout d’une corde : ils étaient venus à Lokitaung pour la vendre. La chèvre était plutôt petite, ils pouvaient espérer en obtenir 3000 shillings. La viande, en particulier celle de chèvre, était à peu près la seule source de revenu des gens de la région s’ils ne possédaient pas de commerce. Le Turkana était une région aride où il ne pleuvait presque jamais, 2 ou 3 jours par an seulement. On disait que certaines années il ne pleuvait pas du tout ! On ne voyait jamais d’eau dans cet endroit. Pour en trouver, il fallait creuser dans le lit d’une rivière asséchée, où se rendre à une des nombreuses pompes installées par des ONG. Dans ces conditions, on comprenait que rien ne pousse. Pratiquement tout ce qu’on trouvait venait d’ailleurs, le plus souvent du Sud du Kenya : très peu de fruits, quelques mangues et des bananes, des pommes de terre, des choux, des oignons, du riz et des haricots, parce que ça se conservait bien, de même que la farine de maïs, pour préparer l’ugali, ou celle de blé pour faire les chapatis. Et donc de la viande, de chèvre le plus souvent, et parfois du poisson pêché dans le lac Turkana. Mais hormis ces deux derniers, tout était cher, 2, 3 voire 4 fois plus qu’à Kitale.

J’allai dans un petit hotel où j’avais pris la veille un grand verre de grenadine glacé pour 10 ksh. En l’absence de véritable jus de fruit, c’était une solution très rafraîchissante et bien moins chère qu’un soda. Cette fois, on me dit de passer derrière la boutique, dans une cour entourée d’une clôture d’arbustes épineux où gambadaient quelques poules et où un enfant était allongé sur une natte à côté d’un bébé endormi. On m’y installa une petite table et une chaise en plastique et on m’amena bientôt une tasse de chai, une petite assiette contenant quatre petits mandazi et du sucre, le tout pour 50 shillings.
Chang’aa
Quand j’étais arrivé à Lokitaung, j’avais été surpris en découvrant ces huttes toutes rondes couvertes de feuilles de métal souvent rouillées donnant une impression de film de science-fiction, comme si des centaines d’extraterrestres s’étaient posés avec leurs petites soucoupes volantes il y a longtemps dans la région. Les huttes des Turkanas étaient autrefois recouvertes de peaux de bêtes pour améliorer l’étanchéité en cas de pluies, bien que rares. Ils utilisaient désormais le plus souvent ce qu’ils peuvent récupérer : cartons, sacs de plastique, et donc, trahissant leur sédentarisation par l’usage de matériaux plus durables, des pièces de métal ou des bouts de tôles. À Lokitaung, il y avait un quartier, si on pouvait l’appeler ainsi, où on ne trouvait aucun autre type de bâtiment que ces igloos de plastique et de métal. C’est là que je décidai de me rendre ce matin-là.
Je m’approchais à peine de ce quartier que deux femmes me doublèrent. L’une d’elle ralentit à ma salutation. Elle était jeune et bien qu’habillée simplement – sa robe de coton bleu foncé parsemée de « I love you » blancs aurait pu passer pour une chemise de nuit – je la trouvais élégante, gracieuse. Peut-être était-ce dû à son joli visage et à sa taille fine, ou peut-être me semblait-elle plus propre que les personnes que j’avais l’habitude de rencontrer dans ce genre d’endroits. En observant ces petites habitations éparpillées à flanc de colline, j’avais presque l’impression de voir la version tribale d’un bidonville. Leur pauvreté me sautait aux yeux. Les terrains, circulaires et délimités par des branchages, comme le voulait la tradition, étaient trop petits pour permettre à ces gens de posséder un troupeau, même réduit, de chèvres. C’était donc naturellement que je demandai à cette jeune femme de quoi pouvaient bien vivre ces dizaines de familles sans bêtes ni jardins. Celle-ci me répondit sans la moindre hésitation : « chang’aa ».

Le chang’aa était un alcool fait à partir de farine de maïs, de sucre et de levure. On laissait fermenter à température ambiante (environ 35°C l’après-midi ici) pendant 2 ou 3 jours. Un verre de chang’aa était vendu 50 shillings. C’était parfaitement illégal, même si on en trouvait un peu partout au Kenya. Mais c’était donc aux clients de venir acheter leur verre d’alcool, puisqu’il ne pouvait pas être vendu ouvertement, au risque de se voir infliger une amende de 5000 shillings, d’après ce que j’avais entendu dire. C’était évidemment hypocrite puisque tout le monde savait où en trouver, mais d’un autre côté, que faire face à ces gens qui n’avaient aucune autre source de revenu ?
Macarena
Je m’avançais un peu plus dans ce quartier, souhaitant observer ces gens et leurs conditions de vie. Mais dès les premières habitations, des enfants me voyant avec l’appareil photo en bandoulière se cachèrent et me dirent « Tunaogopa picha », c’est-à-dire « Nous avons peur des photographies ». Je rangeai donc mon appareil dans sa sacoche mais essayai néanmoins d’entamer la conversation. Une femme arriva alors, un peu plus âgée que la première. Elle parlait anglais, ce qui m’arrangeait bien. Elle me confirma cette histoire de chang’aa. On ne vivait que de ça ici. Elle me posa aussi les questions habituelles, d’où je venais, pourquoi j’étais ici, quelle était ma « mission », comme on me le demandait souvent.
Les enfants s’étaient désormais approchés, rassurés par la présence d’un adulte. Pendant la discussion, je remarquai une petite fille qui semblait imiter la chorégraphie de la Macarena, alors même qu’on n’entendait aucune musique. Se pouvait-il qu’elle connaissait cette chanson ? Pour en avoir le cœur net, je sortis mon téléphone de la poche, ouvris YouTube et recherchai le clip vidéo de la Macarena. Les enfants s’approchèrent de l’écran, d’abord curieux, puis quand la musique commença, ils la reconnurent et se mirent à suivre la chorégraphie, plus ou moins bien, tout en répétant lors du refrain « Eh ! Masharena ! ». Et oui, je ne sais pas pourquoi, ils avaient retenu Masharena à la place de Macarena ! En tout cas, il était désormais certain qu’ils connaissaient cette chanson pourtant bien plus vieille qu’eux. Depuis mon arrivée à Lokitaung, on m’avait souvent salué d’un « Hola ! » et les gens pensaient souvent que j’étais Espagnol. Un touriste ou un humanitaire ibérique était vraisemblablement passé par ici et c’est sans doute lui qui avait montré la chorégraphie de la Macarena aux enfants.
Le sourire des Somalies
Après cet échange divertissant, je décidai d’aller à l’Airtel hotel, un petit restaurant sans nom, rouge comme la compagnie de téléphone Airtel dont le logo avait été peint sur ses murs contre rémunération. Il était tenu par une femme Somalie, de la région Somalie du Kenya. On pouvait reconnaître sa tribu à son visage : elle avait la peau plus claire, les traits plus fins, et elle ne souriait jamais. Quand on lui parlait on avait toujours l’impression de la déranger. Une autre femme Somalie, sa sœur sans doute, s’occupait, elle, de la boutique située dans le même bâtiment que le restaurant. Elle non plus ne souriait pas. J’avais croisé d’autres femmes Somalies au Turkana, et la seule que j’avais vu sourire était une fillette de 6 ou 7 ans qui semblait ravie de rencontrer un Blanc. Peut-être était-ce culturel…

Avant d’aller manger, je pris néanmoins le temps de faire un détour, ce qui me permit de voir un autre quartier de la petite ville et de croiser à nouveau les deux Turkanas de ce matin, cette fois sans leur chèvre, et qui malgré les quelques milliers de shillings gagnés de sa vente trouvèrent naturel de me demander de leur acheter du tabac. Je croisai aussi deux jeunes femmes peu farouches qui me draguèrent ouvertement, comme ça m’arrive parfois : je n’avais jamais été aussi beau que depuis que je voyageais au Kenya !
J’arrivai finalement à l’Airtel hotel. À Lokitaung, il n’y avait pas beaucoup d’hotels, et ceux-ci proposaient généralement la même chose : chapo na nyama, des chapatis et de la viande (de chèvre évidemment). Mais aujourd’hui, j’arrivai trop tard, il n’y avait plus de viande. La jeune femme me proposa alors des lentilles, toujours avec des chapatis, pour 100 shillings. Pendant mon repas, un jeune homme s’approcha pour vendre des poissons frais péchés dans le lac Turkana. L’hôtelière en acheta plusieurs et j’en profitai pour passer commande pour le dîner : un ugali na samaki allait me permettre de varier un peu mon menu !
super etonnant, ces petits igloos en alu , bonne route à toi et comme je te connais bien , Je te le confirme tu es beau et pas seulement au Kenya…..
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Haha ! Tu vas me faire rougir 🤭
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