
Manucci, à son arrivée à Surat en 1656 :
« En débarquant, je fus au plus haut point amusé de constater qu’un grand nombre d’habitants étaient vêtus de blanc et que les types humains, je parle aussi bien des hommes que des femmes, étaient très-variés. Ces dernières, en grande partie hindoues, ne se cachent pas le visage comme en Perse ou en Turquie, où les femmes sont voilées. Il est exact que les personnes du sexe, en pays mahométan, ne s’autorisent point à monter leurs traits à quiconque : elles transgresseraient la loi. Entre autres bizarreries, il m’étonna fort de voir presque tout le monde cracher quelque chose de rouge comme du sang : je l’imputai d’abord à une épidémie et crus que chacun perdait ses dents, puis je demandai à une dame anglaise ce qu’il en était et s’il était habituel dans ce pays que l’on arrachât les dents des gens. Lorsqu’elle eut compris le sens de ma question, elle me répondit qu’il ne s’agissait pas d’une maladie mais d’une feuille aromatique, nommée dans la langue locale pan et en portugais bétel. Elle me fit apporter quelques feuilles, en mâcha elle-même et m’en donna à goûter. Lorsque j’en eus pris un peu, la tête me tourna si fort que je crus ma dernière heure arrivée. Je tombai par terre, je pâlis, je souffris mille morts, mais elle me mit un peu de sel dans la bouche et je revins à moi. La dame m’assura qu’il en était ainsi la première fois pour tout un chacun.
« Le bétel ou pan est une feuille qui ressemble à celle du lierre, mais en plus long ; c’est un vrai médicament que chacun consomme en Inde. On la mâche avec de l’areca que les médecins appellent Avelans Indica et un peu de catto (kath ou kattha) qui est le jus concentré d’une certaine plante qui pousse en Inde. On enduit la feuille de bétel d’un peu de kath ; on mâche le tout, ce qui rougit les lèvres et donne une haleine parfumée. »
Source :
• Niccolo Manucci traduit par Françoise Valence, Un Vénitien chez les Moghols, chapitre II