Au Moyen-Âge, en Europe, malgré les interdictions répétées de l’Église comme des souverains, il arrivait qu’on soumettait certains accusés à des ordalies, c’est-à-dire des épreuves physiques douloureuses, voire mortelles, qui leur permettrait de prouver leur innocence, car Dieu lui-même en déciderait l’issue. Parmi ces épreuves on peut citer le fer rouge, l’eau bouillante, la traversée de bûchers, et, sans doute la plus connue car rendue célèbre par les chasse aux sorcières : l’ordalie par l’eau froide bénite, souvent une rivière, qui était sensée accepter l’innocente qui devait ainsi couler, quand la coupable, rejetée, devait flotter.
Au XXIe siècle, si les ordalies ne sont plus qu’un lointain passé pour nous, ce n’est pas forcément le cas pour certains Indiens, et ce genre d’histoires apparaît encore parfois dans les rubriques de faits divers de ce grand pays. Ces épreuves ne sont pas une nouveauté mais bien une tradition vieille de plusieurs siècles puisqu’on la trouve mentionnée dans la lettre d’un Jésuite écrite en 1714 :
Lorsque quelqu’un est accusé de vol, et qu’il y a contre lui de forts préjugés, on l’oblige de prouver son innocence en mettant sa main dans une chaudière d’eau bouillante. Dès qu’il en a retiré la main, on l’enveloppe d’un morceau de toile et on y applique un cachet vers le poignet. Trois jours après on visite la main, et s’il n’y paraît aucune marque de brûlure, il est déclaré innocent. Cette épreuve est assez ordinaire aux Indes et on y en voit qui retirent de l’huile bouillante leur main très saine.
Pour ne parler ici que des Chrétiens, il y en a qu’on a forcé de donner ce témoignage de leur innocence et qui, sans nous consulter, sont allés dans les places publiques et là, à la vue de tout le monde, ont enfoncé la main et le bras jusqu’au coude dans l’huile bouillante sans en être tant soit peu brûlés. J’ai examiné leur main et leur bras sans y trouver la moindre impression de brûlure.
J’ai connu autrefois un Chrétien qui, ayant une femme très sage, ne pouvait s’ôter de l’esprit qu’elle lui fût infidèle. Les reproches sanglants qu’il lui faisait sans cesse la réduisaient au désespoir. Un jour que cette pauvre femme était pénétrée de douleur, elle dit à son mari qu’elle était prête à lui donner les preuves qu’il pouvait désirer de son innocence. Le mari ferma la porte à l’instant et ayant rempli un vase d’huile, il la fit bouillir, puis ordonna à sa femme d’y mettre la main. Elle obéit aussitôt, en disant qu’elle ne la retirerait que quand il le lui aurait commandé.
La fermeté de cette femme étonna son mari : il la laissa un peu de temps sans lui rien dire, mais voyant qu’elle ne donnait aucun signe de douleur et que sa main n’était nullement brûlée, il se jeta à ses pieds et lui demanda pardon. Quatre ou cinq jours après, il me vint avec sa femme et me raconta tout en pleurs ce qui lui était arrivé. J’interrogeai en particulier la femme qui m’assura qu’elle n’avait pas plus ressenti de douleur que si sa main eût été dans de l’eau tiède. On en croira ce qu’on voudra, mais moi qui ai vu jusqu’où allait la folle jalousie de cet homme et la conviction qu’il eut depuis de la vertu de sa femme, je ne puis douter de la vérité de ce fait.
(…)
J’en sais d’autres qu’on a contraints de lécher avec la langue des tuiles en feu et qui n’ont point été brûlés. Quand les Gentils exigent l’épreuve de l’huile bouillante, ils font laver les mains à l’accusé et lui coupent les ongles de peur qu’il n’ait quelque remède caché qui l’empêche de se brûler.
Ils ont recours encore à une autre épreuve qui est assez ordinaire. On prépare un grand vase rond, à peu près comme une grosse boule, dont l’entrée est si étroite que c’est tout ce qu’on peut y faire d’y mettre le poing. On met dans ce vase un de ces gros serpents dont la morsure est mortelle si on n’y remédie sur l’heure. On y met aussi un anneau. Ensuite on oblige ceux qui sont soupçonnés d’un vol, de retirer l’anneau du vase : le premier qui est mordu est déclaré coupable.
Source :
• Lettre du P. Bouchet au Président de Saint-Vallier dans Lettres édifiantes et curieuses des Jésuites de l’Inde au dix-huitième siècle, p.167