La République des Pyrénées partage aujourd’hui un article sur la production artisanale de glace à Delhi. Aussi étonnant que ça puisse paraître, cela fait des siècles qu’on en fabrique dans la capitale indienne, bien avant l’invention des congélateurs.
Voici ce que décrivait Legoux de Flaix en 1788 :
« Il est un lieu dans ce palais, d’autant plus digne d’attention qu’il ne s’en trouve point un semblable dans aucun autre ; je veux parler de la fabrique de glaces, pour l’usage du harem et de la maison de l’empereur. Le froid, dans cette région de l’Indoustan, n’est jamais assez considérable pour y congeler l’eau sans le secours de l’art ; on est donc contraint, pour y obtenir de la glace, que les Mogols aiment, et dont ils font un très-grand usage toute l’année, soit pour rafraîchir leur boisson, soit pour faire geler le jus des fruits, d’employer des moyens artificiels : voici ceux que j’ai vu mettre en usage.
Chaque année, vers la fin du mois de novembre, on fait les dispositions suivantes dans l’intérieur même du palais impérial. On pratique d’abord un terrain très-nitreux, que l’on creuse à la profondeur de six à sept pieds; les terres déblayées sont placées sur les bords de ce quadrilatère, pour les exhausser, afin d’abriter du vent l’endroit excavé, le plus exactement possible. Lorsque cette fosse se trouve absolument desséchée, on la remplit de paille de mil très-sèche, à la hauteur de quatre à cinq pieds, que l’on arrange bien de niveau ; on y place une quantité de plats de terre cuite, et neufs, parce qu’ils sont plus poreux, ce qui facilite la dissipation du calorique surabondant qui tient l’eau dans l’état de liquidité.
À la chute du jour, on remplit d’eau ces plats de terre, qui ont ordinairement trois ou quatre pouces de profondeur ; le serein et la fraîcheur de la nuit saisissent l’eau contenue dans les plats et la congèlent deux ou trois heures après qu’elle y a été versée. À cette première fabrication, il en succède une seconde, et quelquefois une troisième et même une quatrième pendant la même nuit ; de telle sorte que depuis huit à neuf heures du soir jusqu’au lendemain à l’aube du jour, que le vent commence à souffler avec le lever du soleil, on a obtenu deux, trois ou quatre milliers de glaces. Pendant que les ouvriers s’occupent à enlever les plats dont l’eau se trouve déjà congelée, d’autres en replacent de nouveaux pour de nouvelles fabrications qui se font toutes de la même manière. Les premiers ouvriers s’occupent à casser les plats pour en retirer la glace, que l’on pile et que l’on humecte ensuite avec de l’eau tiède pour en faire des meules de glaçons plus ou moins considérables, que l’on conserve dans les glacières pendant toute l’année. » – Essai sur l’Indoustan.
L’astuce est ici dans la présence de nitrates, du salpêtre selon une technique sans doute apprise des Chinois. Le salpêtre était en effet utilisé pour refroidir l’eau (le mélange d’eau et de salpêtre entraînant une réaction chimique endothermique), comme l’indique François Berbier :
« Il n’y a qu’en campagne qu’on se sert de ce flacon d’étain pour rafraîchir l’eau ; quand on est à la maison, on a des gargoulettes ou aiguières d’une certaine terre poreuse où elle se rafraîchit bien mieux pourvu qu’on la tienne au vent et humectée d’un linge, comme le flacon, ou bien on se sert du salpêtre de la façon que s’en servent toutes les personnes de condition, soit à la ville, soit à l’armée. On met de l’eau ou quelque autre liqueur qu’on veut rafraîchir dans le flacon d’étain rond et à long col, comme sont ces bouteilles de verre d’Angleterre et, un demi quart d’heure durant, on remue ce flacon dans de l’eau où on a jette trois ou quatre poignées de salpêtre. Cela rend l’eau très froide et n’est pas même malsain comme je craignais, si ce n’est qu’il donne quelquefois des tranchées dans le commencement qu’on n’y est pas encore accoutumé. »
La glace sous forme de sorbets était très appréciée par la noblesse de l’époque. Maistre de La Tour (1769) parle ainsi de sorbets consommés à la cour de Mysore : « Ils ont soin de leur demander s’ils souhaitent boire ou manger ; en ce cas, ils leurs font présenter du sorbet, du lait chaud, des fruits ou des confitures ». Law de Lauriston (1763) fait de même : « On ne boit que de l’eau en mangeant, ou du sorbet, espèce de limonade »
Source :
• Les Indes florissantes, Anthologie des voyageurs français (1750-1820) de Guy Deleury :
Fabrication de la glace, pp 411, 412
Réception à la cour du Maissour p 259
• Francois Bernier, Voyage au Cachemire, dans Un libertin dans l’Inde moghole – Les voyages de François Bernier (1656-1669) p372