Dans l’empire moghol, des eunuques occupaient des places importantes, aussi bien comme gardiens de harems, conseillers des sultans ou même comme généraux et gouverneurs, à l’exemple du dénommé Basant (« Printemps ») dont nous parlent Manucci et Bernier.
Bernier, justement, nous rapporte l’anecdote tragique d’un eunuque tombé amoureux :
« En ce même temps, l’on vit arriver un accident bien funeste qui fit grand bruit dans Delhi et principalement dans le sérail, et qui désabusa quantité de personnes qui avaient de la peine à croire comme moi que les eunuques, quoique coupés tout ras, devinssent amoureux comme les autres hommes. Didar Khan, l’un des premiers eunuques du sérail, et qui avait fait bâtir une maison où il venait souvent coucher et se divertir, devint amoureux d’une très belle femme, sœur d’un de ses voisins qui était un écrivain gentil¹. Ces amourettes durèrent assez longtemps sans que personne y trouvât beaucoup à redire, parce qu’enfin c’était un eunuque, qui a droit d’entrer partout, et une femme. Mais la familiarité devint si grande et si extraordinaire entre les deux amants que les voisins se doutèrent de quelque chose et en raillaient l’écrivain, ce qui le piqua tellement que par plusieurs fois il menaça sa sœur et l’eunuque de les tuer s’ils continuaient leur commerce et, effectivement, une nuit qu’il les trouva couchés ensemble, il poignarda l’eunuque et laissa sa sœur pour morte. Tout le sérail, femmes et eunuques, se liguèrent contre lui pour le faire mourir, mais Aurangzeb se moqua de toutes leurs brigues et se contenta de le faire faire mahométan. On ne croit pas néanmoins qu’il puisse longtemps éviter la puissance et la méchanceté des eunuques, car il n’en est pas, dit-on ici communément, des hommes commes des animaux : ces derniers deviennent plus doux et plus traitables quand on les coupe, et les hommes plus vicieux et plus méchants, arrogants pour l’ordinaire et insupportables, si ce n’est que ces vices, comme il arrive quelquefois, se changent, je ne sais comment, en une fidélité, en une bravoure et en une générosité merveilleuse. »
¹ Gentil : à l’époque, c’est ainsi que les occidentaux désignaient les hindous, c’est-à-dire les païens, le terme d’hindou, ou indou, désignant les habitants de l’Inde quelque soit leur religion.
Source :
• François Bernier, Un libertin dans l’Indes moghole – Les voyages de François Bernier (1656-1669), Événements particuliers après la guerre dans les états du Grand Moghol pp. 143-144